Le désamour des citoyens en vers les politiques?
Notre animateur, Alain Parent, a posé successivement trois questions à chacun leur laissant 12 minutes pour répondre à chacune et un échange avec la salle s’en est suivi.
1 – Constat de la situation actuelle : désamour ? Inquiétude ? Les politiques peuvent-ils encore agir ? Votre analyse , que faire ?
Denis Vinckier nous rend compte d’une enquête menée par des étudiants auprès de leurs collègues sur cette question :
- Comment sont-ils informés ? Par les réseaux et Internet (94%). Les 2/3 sont intéressés ou très intéressés. Cela nous concerne tous (94%). On en parle (85%). Mais les politiques n’inspirent pas confiance (84%) : l’image est négative (78%). Pourquoi : le personnel politique (88%) et les media perçus négatifs (55%). Concrètement 82% ne sont pas inscrits sur les listes électorales, mais 31% y pensent !
- Pourquoi cet état de fait : La communication politique est médiocre et le mandat présidentiel de 5 ans a empiré les choses car le discours est perverti par l’élection à venir. Le fait aussi que le clivage entre les deux partis de gouvernement soit moins marqué donne l’impression qu’une alternance ne change rien. De plus, il ressort une impression que la techno structure l’emporte sur le politique qui s’en trouve dévalorisé (voir l’image de l’Europe et de Bruxelles !!) Certains se sentent peu compétents sur la politique…et s’y intéressent d’autant moins. De plus, le mode d’engagement des plus jeunes a changé, il est plus individualiste et donc peu adapté à l’engagement politique.
Pour Eric Bocquet, nous sommes dans une crise du politique en France (…et pas seulement chez nous…) : l’augmentation continue de l’abstention et l’attrait du discours populiste en témoignent ! Et pourtant les élus locaux échappent à ce désamour quand le fossé se creuse avec les parlementaires. Et le débat d’idées continue d’intéresser. Quelques explications :
- Le monde ne fait plus rêver, car l’individualisme prime alors que le collectif est indispensable.
- La « crise économique » persiste sans qu’une fin soit prévisible, aucune alternative n’étant visible après l’échec du communisme.
- Notre système, trop présidentiel, est « à bout » et cela s’est empiré par le passage à 5 ans. Et pourtant la politique modèle la vie…
- L’image des politiques est ternie par les quelques scandales montés en épingle par les médias.
- Le Parlement n’a que peu de pouvoir. Par exemple, le vote du budget, décision politique centrale, est cadré par l’exécutif, les recommandations de la cour des comptes, le contrôle Bruxellois,… de sorte que l’impact du débat parlementaire n’ est que de 0.8% du total !
- Donc faut-il introduite plus de proportionnelle ? Travailler sur le statut de l’Elu (réduire le nombre de mandats car la politique n’est pas un métier…)
- Et que faire devant la puissance des marchés financiers (qui prêtent aux Etats…) ? Et devant la puissance des médias ? Et, de plus, l’engagement citoyen régresse…. !
2 – Le terrain politique est maintenant mondial, dominé par la finance, orienté par le libéralisme « triomphant », et cela génère une forte inquiétude chez les citoyens : les politiques ont-ils perdu la main ??? Que peuvent-ils faire ?
Denis Vinckier constate d’abord que tous les changements dans la société (avancée ou recul) résultent d’œuvres collectives et pas seulement des politiques. Les élus sont toujours en interfaces entre forces diverses : ils subissent donc des pressions très fortes. Ils ne peuvent donc pas agir seuls. De plus ils sont très cadrés par la structure de l’Etat. Par exemple le rôle de la DATAR était utile, mais se trouve aussi être une contrainte pour les politiques. Et le poids de l’Europe sur les décisions nationales. Par exemple, une directive européenne donne comme objectif que 40% d’une classe d’âge atteigne le niveau bac+5, cela veut dire doubler ces effectifs en France et… aux élus d’en trouver les moyens !
Pour Eric Bocquet, la question majeure se résume dans l’adage actuel : « la finance mène le monde » à laquelle tous les partis semblent souscrire. Ainsi, le 1% le plus fortuné dans le monde possède 47% de la richesse. Or la finance devrait être un outil et non un maitre : quel partage de la richesse peut-on observer ? Et pas seulement la richesse monétaire : qui a accès à l’eau ? On observe aussi une grande proximité entre monde politique et monde financier et des passages de l’un à l’autre ? L’Etat, qui a en France un poids particulier bien plus élevé qu’aux USA par exemple, est le garant du bien public : on attend de lui qu’il soit aménageur, organisateur, pilote,…. Il est donc nécessaire et urgent qu’il reprenne la main en s’appuyant sur les citoyens.
3 – Comment améliorer le fonctionnement politique, Quelles pistes d’action ? Quelles raisons d’espérer ?
Pour Denis Vinckier, il faut rappeler le rôle de l’état et les élus doivent avoir une attitude pédagogique sur ces sujets et s’efforcer de créer du lien. Parmi les pistes de progrès, il évoque le développement de l’économie sociale et solidaire qui change la perspective économique en privilégiant le lien, le service et non la finance : un vecteur d’espérance ! Les élus doivent aussi développer des lieux de rencontre et d’échanges avec les citoyens : inventer des réseaux virtuels et aussi par rencontres physiques. Pour cela, ils doivent avoir la volonté de promouvoir l’intérêt général plutôt que des intérêts particuliers. Le conseil Régional étudie actuellement la création d’un baromètre citoyen sur les politiques régionales : à partir d’un panel de citoyens, il s’agira d’objectiver l’évaluation des politiques régionales afin d’animer un débat citoyen.
Pour Eric Bocquet, il faut être convaincu qu’aucun scénario n’est écrit d’avance sur notre avenir. Il faut recréer des rencontres de citoyens, convaincus de l’intérêt général, pour redonner un espoir, faute de quoi il y a risque d’explosion. Et oser une parole de vérité« Dire la Vérité est un acte révolutionnaire » !!!) pour aborder les questions difficiles. Par exemple, la dette est signe que l’on vit au dessus de ses moyens….mais pas tout le monde : qui est le « ON » ? L’Europe est lieu de concurrence entre ses membres et espace de libre circulation : comment éviter les mouvements de dumping social si non en ayant une politique sociale européenne audacieuse ? L’Europe es la bonne échelle pour traiter bien des questions, mais il est urgent qu’elle ait un vrai projet social qui est malheureusement plus difficile à construire à 27 qu’il ne l’aurait été à six. De même, il faut trouver le moyen de réguler les marchés financiers : 1.6% seulement du marché financier sert à l’économie réelle, le reste sert la spéculation.
La discussion qui a suivi a montré l’intérêt de notre rencontre, car la Politique reste l’organisation de la vie en commun dans l’intérêt général. Elle ne remplira sa mission que si elle garde ses valeurs et que le plus grand nombre s’y intéresse.
Compte rendu établi par Gaston Vandecandelaere (16/06/2016)