Qu’a révélé le Grand Débat ? — Doyenné Haubourdin Weppes

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Qu’a révélé le Grand Débat ?

Ce 14 octobre, nous recevions dans le cadre de « Débats en Weppes » Madame Thérèse LEBRUN, Président Recteur délégué de la Catho, pour nous parler du Grand Débat National décidé par le Président de la République.
En effet, elle a été pressentie par notre Préfet pour être garante de cette opération importante et a accepté. Elle a donc fait partie des quatre personnes que le Préfet a nommées pour cette mission et nous lui avions demandé de nous en parler.
Rappelons que le débat portait sur quatre thèmes : Organisation de l’Etat, Démocratie et Citoyenneté, Fiscalité, Transition Ecologique.

Ses synthèses sur chaque débat et sur l’ensemble des 26 qu’elle a suivis ont été transmises pour être incluses dans la synthèse générale et ne sont pas publiques. Madame Lebrun nous exprimait donc ce qu’elle avait perçu des sentiments exprimés, de la composition des groupes rencontrés, du ressenti de nos concitoyens. Elle nous a présenté d’abord les principaux paradoxes que ces débats révèlent :

« Trop de fonctionnaires », mais impossibilité simultanée de nommer ceux à supprimer, dans quels domaines.
Obliger, sanctionner, taxer et, dans le même temps, se responsabiliser et se prendre en mains (transition écologique).
Plus de services publics et d’humains en présence et moins de fonctionnaires ou de dépenses publiques.

Pour l’essentiel de son intervention elle a bien voulu nous confier ses notes que vous trouverez  ci-dessous.

Le ressenti de Thérèse Lebrun

Suivre 26 « grands débats » sur le département du Nord a été assez exténuant, mais passionnant et enrichissant.

Ils se sont tous globalement bien déroulés, sans anicroche particulière.

Le public : composé plutôt de gens d’un certain âge, voire d’un âge certain, avec très peu de jeunes  (nous y reviendrons), en général moins de 10 %, voire de 5 %, quand ils n’étaient pas 2 ou 3 dans un ensemble de 60 personnes, d’autant que l’on entend par « jeune » des moins de 30 ou 40 ans. Un public ni très pauvre (sauf au débat organisé par ATD Quart Monde), ni très riche, et plutôt impliqué dans des associations, la vie locale, la vie citoyenne, voire la politique locale, et ayant réfléchi le plus souvent aux difficultés de notre société. Pas mal de personnes qui se définissent comme « fonctionnaires » ou « petit fonctionnaire » ou « de la fonction publique », ou du monde de l’éducation.

Le climat : respect de la charte ; écoute : échanges (à moduler suivant le type d’organisation de la rencontre (cf. à ce sujet le point sur l’organisation et les méthodes de déroulement des réunions)) ; un public le plus souvent heureux de pouvoir débattre, estimant que c’était une opportunité et reconnaissant à cet égard envers les gilets jaunes qui ont déclenché en quelque sorte ce Grand Débat. En revanche, pas de gilets jaunes visibles à 1 ou 2 près, mais des gens disant, pour certains d’entre eux, qu’ils appartenaient au mouvement ou qu’ils le soutenaient. Un public aussi très en attente quant aux suites données à ce Grand Débat et qui mentionne assez souvent que c’est un dernier effort qu’il fait pour venir et espère plus que vivement qu’il y aura de vraies décisions et avancées de la part du Président de la République et du gouvernement, sinon on peut craindre le pire quant à une forme de révolte.

Une tendance de fond

A cet égard, on sent un « ras-le-bol » généralisé, attribué souvent à 30 ou 40 ans pendant lesquels les personnes estiment n’avoir pas été reconnues ou écoutées, avoir été prises « pour des nuls » ou des « incapables de comprendre » et avoir vu s’agrandir le fossé riches/pauvres ou/et élite/citoyens (le mot « élite revient souvent dans les propos). Ce « ras-le-bol » est à rapprocher de la complexification tous azimuts ; de la perte des liens humains dans l’accès aux services publics jugé déshumanisé, marqué par la dématérialisation, l’internet et le tout informatique ou numérique, par l’absence de lieux de proximité (l’exemple des passeports et cartes d’identité est souvent repris) et donc par l’absence de réponses aux questions, surtout si elles sont spécifiques. « Ras-le-bol » lié aussi au millefeuille administratif et des collectivités territoriales qui revient dans quasiment toutes les rencontres. Et, de façon marquée dans tous les débats, rejet complet d’une élite de hauts fonctionnaires qui se trouvent « là-haut », « dans les hautes sphères », complètement éloignés du peuple et des citoyens, touchant des salaires jugés indécents (et « plus élevé que celui du Président de la République »), bénéficiant de toutes sortes d’acquis, ne s’occupant que de leur carrière et ignorant la vie quotidienne et ordinaire et, a fortiori, les difficultés qui peuvent lui être liées.

Un public très inquiet aussi « pour ses enfants et petits-enfants » qui, dans certains cas, est venu pour cette raison précise.

Enfin, un public marqué par les inégalités et injustices ; qui souhaite des explications et de la transparence.

Les jeunes

En recoupant diverses réactions, j’arrive aux conclusions suivantes :

les jeunes ne se sont pas sentis invités au débat : les sujets « organisation de l’État et des services publics », « fiscalité et dépenses publiques » les motivaient peu ; une question : se sont-ils sentis citoyens, appelés comme tous les autres citoyens ?
ils sont en permanence connectés les uns aux autres, et pas seulement sur leur territoire géographique, et estiment qu’ils échangent déjà en permanence les uns avec les autres au travers des réseaux sociaux ;
pour les jeunes en âge universitaire, les plus de 30 ans ont déjà pris de mauvaises habitudes ; ce sont les générations plus âgées qu’il faut sensibiliser, notamment en matière de transition écologique ;
on ne prend pas assez les jeunes au sérieux, y compris avec « leurs réseaux sociaux bien utilisés ». C’est là qu’ils situent le choc des générations, entre eux et les plus âgés qui n’utilisent pas – ou pas de la même façon – les réseaux sociaux ;
ces jeunes se sentent : peu écoutés, peu entendus, peu crédibles ; leur voix est peu prise en compte ; d’ailleurs, ils ne sont pas représentés en politique ou à l’Assemblée Nationale, disent-ils.

L’absence des 30/40 ans me semble aussi pouvoir être liée à leurs charges : professionnelles et familiales.

Les débats

Ils me sont apparus très orientés par la trame des questions/sujets émise par l’État. De ce fait, on retrouvait, au bout d’un certain temps, toujours les mêmes sujets. A cet égard, au-delà de 25/30 débats, on peut avoir l’impression d’entendre toujours le même type d’échanges.

Beaucoup d’erreurs, de confusions, d’absence d’informations sur certains éléments de lois ou de décrets existants, sur l’organisation territoriale ou le rôle des diverses collectivités, sur certains montants de salaires ou de revenus touchés par les élus… Et une crainte correspondante : puisqu’il s’agit d’un échange, d’un débat, les erreurs n’ont, dans presque tous les cas, pas été corrigées, ce qui en a gêné plus d’un ; il fallait alors corriger la crainte, à savoir que les organisateurs du Grand Débat feront le tri et sauront distinguer, in fine, ce qui relève d’erreurs.

Au départ, les élus locaux étaient absents ou très discrets ou totalement silencieux, car ils ont compris qu’il s’agissait d’un débat citoyen et non de politique, a fortiori d’opposition, locale. La règle a été très respectée ; dans un cas où une députée et un ou deux de ses collègues ayant initialement tenu le micro plus de 30 minutes (près de 45’), rappel au fait qu’il s’agissait d’un débat citoyen a été fait par les citoyens participants.

Parfois, des thématiques non proposées dans le débat sont venues : emploi, travail, création d’entreprises ; chômage ; précarité/pauvreté, voix des plus faibles ; pouvoir d’achat.

Au total, des échanges intéressants, un fond identique de conclusions qui se dégagent, un respect des règles sur jeu, un « ras-le-bol » très ressenti et, corrélativement, une très forte, vive, attente de changements, un peu comme une dernière tentative… Dans certaines rencontres, certains proposeront de poursuivre ces débats sous des formes à imaginer, mais cela apparaît à proximité du 15 mars et non au départ du Grand Débat.

 

L’organisation et les méthodes de déroulement des réunions

Elles étaient assez diversifiées.

En termes de taille du public : entre une quinzaine de personnes et 150 participants dans les débats auxquels j’ai assisté. Toutefois, taille et qualité n’étaient pas nécessairement corrélées, la taille dépendant aussi de celle du territoire de référence de la rencontre. Certains débats avec des groupes de taille modeste étaient intéressants et bien menés ; d’autres, comptant beaucoup de participants, pouvaient être fastidieux, et d’autres encore bien conduits au contraire. Ceci m’a permis de dire à quelques groupes de taille modeste que leur rencontre était aussi intéressante et contribuait au Grand Débat et à quelques organisateurs de groupe de bonne taille, qu’ils avaient bien organisé la rencontre et le débat.
Les thématiques : traitées une par une (donc en 4 débats) ou deux par deux (donc en 2 débats) ou 4 en une fois. Pas de règle générale sur le lien entre le nombre de thématiques traitées et la qualité du débat.

Quatre thématiques en une fois nécessitaient toutefois une bonne organisation préalable, un très bon animateur (ou plusieurs se partageant la tâche) ou une méthode originale, comme celle des « Word cafés » consistant à organiser 4 tables (1 par thème) avec un rapporteur restant à la table, tandis que les participants changent quatre fois de table, ce rapporteur enrichissant le débat au fur et à mesure des changements de participants à la table. Cela permet de traiter les 4 thèmes en une réunion, avec, en finale, remontée de la synthèse de chaque table.

Lorsque l’organisateur de la rencontre a pu vouloir dérouler les questions telles que proposées par les organisateurs du Grand Débat, cela a pu nuire à la qualité des échanges et expressions, surtout avec un très grand groupe, placé en mode conférence, et être fastidieux et mal adapté. Les questions s’adaptaient plutôt au mode individuel et non mode au mode collectif.

Dans d’autres cas, la liste des questions a été synthétisée et présentée en avant-propos, avec quelques données et chiffres-clés pour lancer le débat, en grand groupe ou par table d’une dizaine de participants. Formule efficace.

Avec 4 députés [1], 4 modes d’intervention différents observés :

le député synthétise le débat après chaque thème et rectifie quelques erreurs ou apporte quelques éclairages et répond à quelques questions. Modalité intéressante ; rencontre de proximité avec des petits nombres de citoyens, en milieu rural notamment ;
le député ouvre la soirée et la clôture brièvement. Il assiste à la remontée des conclusions portant sur 2 thématiques sur 4 ; avec ses assistants, il note l’ensemble des remontées du débat ainsi conduit ;
le député manage le débat avec une très (trop) longue introduction, beaucoup de sous-groupes (7) pour l’échange entre citoyens et une remontée trop rapide des conclusions par sous-groupe. Lourd, tendu et fastidieux. Remontées d’inégale qualité qui fusent un peu dans tous les sens.

le député a assisté à une dizaine de débats et en a fait la synthèse préalable à la rencontre pour chacun des 4 thèmes. La synthèse de chaque thème, présentée en quelques minutes, ouvre le débat avec la salle, les citoyens venant de diverses communes de la circonscription. Très bien préparée, avec une bonne synthèse initiale, cette formule, bien menée par le député en question, était appréciable, Les organisateurs sont divers selon les débats :un jeune citoyen seul (22 ans), intéressé à la vie politique locale ; un groupe de citoyens ; un maire ; un député, un syndicat ; un mouvement ; une fédération d’associations ; un ou des organisateurs, parfois issus de l’opposition municipale, et assumant aussi le rôle d’animateurs. Dans un cas, avec l’appui de la mairie, un consultant aidé d’un citoyen (avocat), préparent et animent le débat, tandis qu’ont été prévues deux autres personnes : l’une pour apporter des ressources (chiffres, précisions, éléments objectifs de connaissances) et la seconde pour synthétiser le débat, à partir d’une prise de notes complète (synthèse très bien faite). Ces 2 personnes étaient déjà impliquées dans la vie associative et le conseil citoyen de la commune.

Dans un cas de débat, l’animateur était issu du monde télévisuel dans un débat associant un syndicat et une association/mouvement écologique dans son organisation.

Pour la rencontre ATD Quart Monde, le débat avait été préparé à un niveau local avec les personnes en précarité et le samedi après-midi consistait, sur la base des thématiques retenues à la suite du travail initialement réalisé (démocratie ; citoyenneté ; respect de l’égale dignité de chacun) et de premiers constats et propositions tirés de ce travail, à faire remonter ces éléments en grand groupe (70 personnes), à en débattre, puis à faire voter les participants, avec des gommettes, sur l’intérêt porté à chacune de ces conclusions, composées donc, par thème, de constats, d’une part, et de propositions, d’autre part.À l’issue de ce débat, une personnalité politique, ancienne sénatrice, produisait un regard/témoignage sur l’après-midi et relevait en effet-miroir, ce qu’elle avait particulièrement entendu et retenu comme marquant du débat. Formule également intéressante et participative, inclusive aussi d’un public très précaire non retrouvé dans les débats citoyens et qui a pu ainsi s’exprimer et participer, partager, être écouté.

La durée de chaque débat est de l’ordre de2h30-3h, incluant à chaque fois l’arrivée un peu décalée des citoyens et la mise en place du groupe de participants.
Globalement, un bon accueil du garant. Dans certains cas, le garant se présente et explique lui-même son rôle, les règles du jeu, ce qu’il fera à l’issue du débat, et ce en début de rencontre.

En finale, il a pu être appelé à donner son sentiment sur le débat.

Certains groupes sont honorés de la venue du garant, nommé par le Préfet, et parfois venu de loin, en soirée ou le samedi. Dans quelques cas, c’est une relative indifférence. Dans un cas, dans la réunion organisée par la CGT, un ou deux participants y ont vu une sorte de « contrôle préfectoral » ou de « voix du préfet ». J’ai bien sûr rectifié. Et cela ne traduisait pas l’avis du groupe, tout occupé à son débat.

 

Au total, des formules très diversifiées, certaines plus intéressantes, mieux organisées,

animées, plus originales ou plus productives, que d’autres et ceci n’étant pas directement lié à la taille du groupe, à la (ou aux) thématique(s) retenue(s).intéressante et efficace, avec de vrais échanges avec les citoyens.

 

Thérèse Lebrun

 

[1] Homme ou femme ; nous utiliserons de façon homogène le masculin.