Débats en Weppes "La santé dans tous ses états" — Doyenné Haubourdin Weppes

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Débats en Weppes "La santé dans tous ses états"

Compte rendu de la conférence sur le thème de "la santé dans tous ses états" du 4 février – salle « Clos d’Hespel » à FOURNES
Avec Thérèse LEBRUN, économiste de la santé, recteur délégué de la Catho Lille,
Le futur dans le domaine de la Santé : Santé à deux vitesses ? vieillissement ?
Evolution des soins ? Qui paiera ? Nouveaux modèles de société ?

      

              Nous recevions à Fournes, ce jeudi 4 février, Thérèse Lebrun, pour nous parler de la santé.  Elle a commencé sa carrière comme chercheur en économie de la santé en 1975, a été Président-Recteur de la Catho de 2003 à 2012, et se trouve maintenant recteur délégué pour le secteur santé-social, Pierre Giorgini lui ayant succédé en 2012.

              Les quelques sujets qui seront traités cette année dans le cadre de « Débats en Weppes » sont centrés sur le VIVRE ENSEMBLE et pour aborder ce vaste sujet, nous avons choisi de le traiter par thèmes en commençant par la santé.

              Nous avons choisi ce sujet, car, dans notre pays, le financement de la santé (comme des aspects sociaux) est basé sur la répartition : tout le monde cotise selon ses ressources et tout le monde est, en principe, assuré d’un même accès aux soins ; c’est donc l’un des éléments essentiels de notre « vivre ensemble » qui est assez répandu dans les sociétés de l’Europe continentale occidentale, mais qui n’est pas universel, tant s’en faut !

              Thérèse Lebrun abordera trois grands facteurs ayant un impact fort sur ces questions de santé puis quelques points particuliers actuels.

ENVIRONNEMENT ECONOMIQUE

       Cet environnement a considérablement changé ce qui permet à certains socio-économistes de distinguer trois périodes :

      L’après guerre, période de reconstruction 1945/1975, nous fait vivre les « trente glorieuses », période euphorique de plein emploi, de croissance quasi continue qui permet le développement d’un système social protecteur et solidaire : sécu, allocations familiales et diverses, retraites par répartition,…..
Le premier choc pétrolier sonne la fin de ce temps pour une période plus difficile, les « trente piteuses », 1975/2005, caractérisées par un taux de croissance décroissant peu à peu et donc l’apparition du chômage ce qui, de fait, met en cause notre couverture sociale et provoque l’apparition d’un appauvrissement d’une partie importante de la population.
    Viennent ensuite les « trente douloureuses », 2005/2035, générées par la mondialisation qui développe une concurrence internationale très forte dont le développement est aidé par la libéralisation des échanges qui permet l’émergence de nouvelles puissances économiques, mais limite définitivement nos capacités de « croissance » ! Cette période est caractérisée par un mot : la précarité illustrée par l’arrivée des robots qui pourrait remettre en cause 47% des emplois industriels dans nos sociétés.

      S’ajoute à ces aspects économiques le sentiment d’une perte de repères sociaux. Le communisme a fait la preuve de son inefficacité à satisfaire  les besoins des populations et il disparait d’Europe avec la chute du mur de Berlin (1989).  Et maintenant le libéralisme fait aussi la preuve de son incapacité à faire fonctionner une société : la main invisible du marché ne règle pas la question de la pauvreté, d’égalité des chances, de souci du bien commun,  ni celle des déséquilibres écologiques !

LA DEMOGRAPHIE:

       C’est un élément déterminant pour notre sujet, d’autant que ses effets durent…la vie d’un homme. Quelques éléments caractéristiques :

      Notre démographie a été longtemps nettement positive grâce à une fécondité supérieure à 2 enfants par femme en âge d’enfanter, ce qui assure le renouvellement des générations ; 2015 marque un recul à 1.96 enfant par femme. D’autres pays d’Europe ont un taux de fécondité plus faible ; par exemple en l’Allemagne, il est de 1.4 enfant par femme et le renouvellement des générations ne peut se faire que par une immigration importante. Un des facteurs de cette baisse est l’âge de la maman à la première naissance qui est aujourd’hui de 30.4 ans.
      L’espérance de vie à la naissance est de 85 ans pour les femmes et de 79 pour les hommes. Ces chiffres sont une bonne nouvelle, même si  l’écart tend à se réduire car les modes de vie des deux sexes se rapprochent (travail extérieur, fumée, alcool,…).
L’allongement de l’espérance de vie se traduit par le taux de personnes âgées dans la population. Ainsi, 50% des bébés nés en 2015 seront centenaires et le taux de personnes de plus de 65 ans qui est de 20% aujourd’hui augmente rapidement.

     Ces différents facteurs on généralement fait penser que c’est ce vieillissement qui expliquait l’augmentation des couts de santé et des études récentes montrent qu’il n’en est rien, car ce sont les deux dernières années de vie qui coutent quelque soit l’âge du décès. Par contre, la dépendance augmente avec l’âge et c’est ce qui coute. Nos anciens sont décédés avant de risquer d’être atteints par Altzeimer !!! A la Catho, dans les Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes –EHPAD-, l’âge moyen d’entrée est de 86 ans et la durée moyenne de séjour est de 2 ans. Le cout du séjour est de 150€ par jour dont la moitié pour l’hébergement et la moitié pour la dépendance. La société acceptera-t-elle de supporter ce cout croissant inexorablement?

 

LES AVANCEES TECHNOLOGIQUES : VERS L’HOMME AUGMENTE….

        Notre société n’est pas en crise, mais en pleine mutation, déjà par la mondialisation de l’économie comme vu plus haut, mais aussi dans les trois avancées  techniques suivantes :

     L’augmentation continue des puissances de calcul, des capacités de stockage d’informations et de la vitesse de transmission des données en masse. Cela a donné naissance à l’intelligence artificielle (qui permet à des robots de s’adapter, en « apprenant » tout seul), à l’accès permanent à toutes informations, aux calculs gigantesques,….
      Le développement de la biologie et en particulier de la génétique qui est la marque du vingt et unième siècle.
La convergence de la biologie, de la chimie et des nanotechnologies (conception et production d’objets à l’échelle atomique) a d’innombrables applications dont certaines posent de redoutables questions éthiques, car on expérimente actuellement des connexions directes de calculateurs avec notre système nerveux….

    Ces avancées permettent à la fois de réels progrès pour l’Homme, mais aussi   d’envisager des nouveautés qui peuvent inquiéter, par exemple :

     La personnalisation des soins : il sera possible de disposer d’une connaissance beaucoup plus fine du patient : son état, sa génétique, son histoire,… et ainsi d’adapter mieux le soin donné allant jusqu’à fabriquer « son » médicament.
L’homme connecté : portant des capteurs dont les données sont transmises à un centre de soins, on peut adapter sa vie en permanence à son état. Mais aussi on peut être connecté en permanence à des sources de données.
    L’homme augmenté : outre ces connections, on peut changer les parties  défectueuses de l’anatomie, déjà nos articulations, un début de cœur artificiel, et, sans aucun doute des extensions de cerveau implantées directement.

     Tout cela n’est plus de la science fiction, mais la réalité expérimentée aujourd’hui, répandue demain, posera de redoutables questions, par exemple :

     Que devient le métier d’enseignant quand les élèves disposent des connaissances sur le net, qu’ils disposent d’outils de calcul, de « GOOGLE »,…. Comment former, c'est-à-dire  aider à se former l’esprit, à structurer sa pensée, à savoir critiquer, quand il semble que cela ne soit plus utile, que « tout est sur le net » ?
     Quel attitude pour les médecins et les soignants quand le patient « a tout lu sur le net », qu’il est convaincu de savoir ce qu’il a et comment se soigner ? Aujourd’hui, il doit être informé, il devra de plus en plus co-élaborer ses soins. Il pourra être sous surveillance permanente, mais souhaitera-t-il l’être, mais aussi pourra-t-il s’y opposer contre l’avis de la sécu ou de…son employeur. Où sera la liberté personnelle ?
     Quelles seront les exigences des assurances quant à la connaissance préalable de la personne à assurer, quels calculs des risques …et des primes ? Et pour le recrutement pour un emploi ?
    Dans un contexte de précarisation et d’allongement de la vie, ne va t-on pas sélectionner les individus à risques et les exclure, ou du moins imposer des comportements (que l’on pourra surveiller) pour obtenir une assurance ou un emploi ?
Nos emplois demandaient hier de l’adresse manuelle et de la force, aujourd’hui de l’intelligence et de l’ingéniosité, demain beaucoup  plus de créativité et de capacité à « co-élaborer » : Quid de ceux qui n’auront pas ces aptitudes ?
L’homme augmenté de demain, qui sera-t-il vraiment ????

Quelques points qui posent question :

      L’avenir des EHPAD, qui relève des finances du Conseil Départemental, ira vers la création de structures plus grandes, car le prix de revient/journée y est plus faible : qu’adviendra-t-il des petites structures ?
     Dans l’hôpital, l’Agence Régionale de Santé –ARS-, qui gère et finance la santé, impose de développer les soins ambulatoires, sans nuit passée à l’hôpital, jusqu’à atteindre 50% des cas. Le non respect de cet objectif est « puni » financièrement ! Dans le même temps, les couts techniques augmentent rapidement sans que les enveloppes suivent.
      Vers une pénurie de médecins ? Dès à présent, on constate localement un manque dans quelques spécialités (gynéco, chirurgie,…). A noter aussi que sur 100 nouveaux médecins, 75 s’inscrivent à l’Ordre et, donc, 25 ne seront pas soignants. De plus sur les 90 000 médecins généralistes, seuls 50 000 sont libéraux. Enfin, la féminisation induit naturellement une baisse du temps dédié au soin et les jeunes générations sont plus sensibles à la gestion de leur temps et à la préservation de leur vie personnelle. Et on peut être inquiet de l’avenir de la répartition territoriale malgré de réels efforts pour éviter les effets des déserts médicaux.
     Le temps des retraités aisés est passé… à cause du non emploi et de l’allongement de la durée de vie : aujourd’hui la retraite représente, en moyenne, 66% du dernier salaire, en 2020 elle sera d’environ 55% et en 2040 de moins de 50%.
La dernière note du Conseil d’Analyse Economique, placé auprès du Premier ministre, énonce 4 préconisation : la remise à plat de notre système de protection, une étude nouvelle de l’égalité d’accès aux soins, une révision du partage entre sécurité sociale et mutuelles, une définition des soins considérés indispensables.

ET POUR CONCLURE

     Comme on le voit, nous disposons d’un système de santé de qualité, même s’il est perfectible et les couts en sont mutualisés. Les perspectives d’avenir ouvrent à des pratiques et à des tentations nouvelles. Pour garder les qualités du  lien social actuel, il nous faudra monter en conscience et garder l’esprit éveillé.

     Notre monde n’est pas triste, mais il faut réinventer une société différente où chacun trouve sa place, même s’il est sans travail, manifestant sa solidarité envers tous.

 

                            Compte rendu établi par Gaston Vandecandelaere (08/02/2016)